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L’ÉVOLUTION DES GENRES.

ont été fixés par les païens de la Renaissance ; et c’est que les modèles en sont demeurés, pendant plus de deux siècles, uniquement païens. De telle sorte que ce n’était pas seulement ici Boileau qui se trouvait être en cause, mais c’était, pour ainsi dire, la Renaissance elle-même.

Encore la querelle des anciens et des modernes, purement littéraire avec Perrault jadis ; déjà philosophique, nous l’avons vu tout à l’heure, avec Mme de Staël ; religieuse maintenant avec Chateaubriand ! Il s’agit de savoir si notre poésie continuera de s’inspirer d’Homère et de Virgile ; de leur emprunter ses machines ; de se nourrir de fictions auxquelles ni le poète ni son public ne peuvent croire ; et, chrétiens dans le sang, il s’agit de savoir si notre art, toujours païen, continuera d’être une espèce d’insulte à tout ce que nous croyons. Voilà la question ; vous connaissez la réponse. Il faut savoir gré à Chateaubriand de la modération qu’il y a mise : je veux dire qu’aimant et goûtant lui-même les anciens comme il faisait, il faut lui savoir gré de n’avoir pas voulu substituer l’idéal chrétien à l’idéal antique. Il s’est contenté de rétablir le premier dans ses titres à côté du second ; et ainsi, d’autant qu’il enrichissait le domaine de la poésie, de reculer et d’élargir les frontières de la critique.

C’est également ce qu’il a fait, « en restaurant la cathédrale gothique », selon l’expression d’un poète ; et en révélant à ses contemporains, après la poésie du christianisme, celle du moyen âge ou, pour mieux dire encore, celle du passé national.