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L’ÉVOLUTION DE LA POÉSIE LYRIQUE


elle pas quelquefois bien haute, et par suite, inaccessible à la foule, à cet homme « ordinaire » dont Taine nous parlait tout à l’heure ? Je ne poserais même pas la question, si, — comme nous le verrons dès la prochaine fois, — quelques-uns des disciples eux-mêmes de M. Leconte de Lisle n’avaient cru devoir faire descendre la poésie des hauteurs où il l’a, lui, toujours maintenue. Mais, pour ma part, dans le temps, dans le pays où nous sommes, vous entendez assez ma réponse. Tant pis ! Messieurs, tant pis pour ceux qui ne seraient pas à la hauteur de cet art ! et qu’ils tâchent de s’y élever ! Car, nous ne manquons pas d’amuseurs, ni surtout, si je l’ose dire, de « montreurs » dans notre littérature. N’ayons donc pas peur, si nous les aimons, et croyons fermement que la race n’en périra pas ! Il se trouvera toujours assez de gens, en France, pour nous assassiner du récit de leurs infortunes, et pour égayer, plutôt que de se taire, la multitude à leurs dépens. Mais, d’hommes qui se soient retranchés les moyens habituels de succès ; qui n’aient pas craint de placer trop haut l’objet de leur art ; et qui aient toujours eu pour lui le respect d’un dévot pour son Dieu, j’en connais moins ! voilà ceux que l’on compte ! et ce sont pourtant, en tout temps, ceux qu’il nous faudrait. Je voudrais aujourd’hui, Messieurs, vous avoir montré que l’auteur des Poèmes barbares en est un ; et qu’avec l’explication de la beauté de son œuvre, là aussi est le secret de son influence.

17 mai 1893.