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M. LECONTE DE LISLE

Mais sur la plage aride, aux odeurs insalubres,
Parmi les ossements de bœuf, et de chevaux,
De maigres chiens, épars, allongeant leurs museaux,
Se lamentaient, poussant des hurlements lugubres.

La queue en cercle sous leurs ventres palpitants,
L’œil dilaté, tremblant sur leurs pattes fébriles,
Accroupis çà et là, tous hurlaient immobiles,
Et d’un frisson rapide agités par instants.

L’écume de la mer collait sur leurs échines
De longs poils qui laissaient les vertèbres saillir ;
Et, quand les flots par bonds les venaient assaillir,
Leurs dents blanches claquaient sous leurs rouges babines.

Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, aux bords des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?

Je ne sais ; mais, ô chiens qui hurliez sur les plages.
Après tant de soleils qui ne reviendront plus.
J’entends toujours, du fond de mon passé confus,
Le cri désespéré de vos douleurs sauvages !


Mais nous, Messieurs, de notre côté, n’entendons-nous pas maintenant la vraie signification de ces vers ? L’animal est un frère inférieur de l’humanité. Dans son cerveau rudimentaire, aux circonvolutions rares et peu profondes, encore embrumé d’inconscience, il s’accomplit des mouvements, lesquels sont obscurément analogues aux nôtres, et comme nous avons de ses instincts, de ses appétits, de ses passions, il a, lui de nos terreurs, de nos angoisses, de nos désespoirs peut-être ! Ou encore, si vous le voulez, dans l’animal