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M. LECONTE DE LISLE


La « couleur locale » a donc une tout autre valeur, comme une tout autre intensité, dans les Poèmes antiques et dans les Poèmes barbares, que dans les Orientales ou dans la Légende des siècles. Supposez qu’elle y soit fausse, elle n’y est pas cependant arbitraire. J’ajoute qu’elle y a surtout. Messieurs, une autre signification. « Sur les monuments de Persépolis, a dit quelque part Ernest Renan, — dans une de ces pages où lui-même il alliait si heureusement l’érudition à la poésie, — on voit les différentes nations tributaires du roi de Perse représentées par un personnage qui porte le costume de son pays et tient entre ses mains les productions de sa province pour en faire hommage au souverain. Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé, et qui demeure pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés, qui ont vécu, et qui sont morts groupés autour d’elle. » Telle est aussi, Messieurs, la couleur locale dans la poésie de M. Leconte de Lisle. La mort de Valmiki, la Vision de Brahma, Khirôn ou Niobé, Qain, Néférou-Râ, l’Épée d’Angantyr, le Massacre de Nona, hindous, grecs, ou égyptiens, hébreux, celtes ou Scandinaves, dans tous ces poèmes, c’est le type abrégé