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L’ÉVOLUTION DE LA POÉSIE LYRIQUE

les merveilles de la vapeur ou de l’éleclricité, le génie de la navigation, le téléphone, le phonographe, la série des éthers ou les secrets de la thérapeutique. Il ne s’agit pas davantage de soumettre la poésie, ni l’art en général, aux méthodes qui sont celles de la science, de la physiologie par exemple, ou de l’histoire naturelle. Je ne connais pas de roman ni de drame « expérimental », et c’est ici qu’avant d’en user il faudrait peser les mots que l’on emploie. Encore moins est-il question, sous prétexte de modernité, d’interdire au poète, comme l’ont cru quelques poètes mêmes, de puiser son inspiration aux sources de la légende ou de la fable. Les Poèmes antiques, eux tout seuls, suffiraient aujourd’hui pour écarter cette interprétation. Mais ce que M, Leconte de Lisle a pensé, c’est que, pour parler, fût-ce en vers, de l’Inde, par exemple, de la Grèce, ou de Rome, peut-être était-il de bon de commencer par les connaître, et pour cela de les étudier ; et vous me direz qu’il n’y a rien de plus simple ; et j’en conviendrai ; mais vous m’accorderez que les romantiques ne s’en étaient pas doutés. Ils se créaient des Indes ou des Grèces à eux-mêmes, comme Hugo dans ses Orientales ou Mérimée dans sa Guzla[1], par la force de l’imagination, pour leur usage exclusif, et ils s’y tenaient.

  1. Mérimée, dans la préface définitive de sa Guzla, s’est d’ailleurs, comme l’on sait, fort agréablement moqué de la « couleur locale » en général, et de la sienne en particulier. C’est bien. Mais, là-dessus, si ce n’était la « couleur locale », je serais curieux de savoir ce qu’on lirait encore aujourd’hui de l’auteur de Carmen et de Colomba. Serait-ce par hasard l’Histoire de don Pèdre ? Je n’aime pas cette espèce de « sceptiques » dont le scepticisme consiste, quand ils ont obtenu de la vie ce qu’ils voulaient, à se moquer eux-mêmes des moyens qu’ils y ont employés, — et à s’efforcer d’en dégoûter les autres.