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M. LECONTE DE LISLE

Tu venais de la ville en manchy de rotin,
     Par les rampes de la colline.

La cloche de l’église alertement tintait ;
     Le vent de mer berçait les cannes ;
Comme une grêle d’or, aux pointes des savanes,
     Le feu du soleil crépitait.

Le bracelet aux poings, l’anneau sur la cheville,
     Et le mouchoir jaune aux chignons,
Deux Telingas portaient, assidus compagnons,
     Ton lit aux nattes de Manille.

.....

On voyait, au travers du rideau de batiste,
     Tes boucles dorer l’oreiller,
Et, sous leurs cils mi-clos, feignant de sommeiller,
     Tes beaux yeux de sombre améthyste.

Tu t’en venais ainsi, par ces matins si doux,
     De la montagne à la grand’messe,
Dans ta grâce naïve et ta rose jeunesse,
     Au pas rythmé de tes Hindous.

Maintenant, dans le sable aride de nos grèves,
     Sous les chiendents, au bruit des mers.
Tu reposes parmi les morts qui me sont chers.
     Ô charme de mes premiers rêves !

Dans la Fontaine aux lianes, dans l’Illusion suprême, dans combien d’autres poèmes encore, vous retrouverez. Messieurs, ce même accent d’émotion intime et contenue :

Mille arômes légers émanent des feuillages
Où la mouche d’or rôde, étincelle et bruit ;
Et les feux des chasseurs, sur les mornes sauvages.
Jaillissent dans le bleu splendide de la nuit.