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L’ÉVOLUTION DE LA POÉSIE LYRIQUE

tianisme et le bouddhisme sont des religions pessimistes, qui ne doivent qu’au pessimisme leur supériorité sur le judaïsme ou sur le brahmanisme, leur profondeur philosophique, et surtout cet esprit de compassion ou de charité qui les anime, — mais ne sommes-nous pas tous aujourd’hui pessimistes ou presque tous ? et pour l’être autrement que Vigny ou que Gautier, M. Leconte de Lisle l’est-il plus que M. Sully-Prudhomme, par exemple, ou tel autre que l’on pourrait nommer ? Non, à mon sens ; et ce sont d’autres traits qui le caractérisent, qui l’individualisent, dont voici, je crois, les trois principaux : nul n’a mieux compris, — pas même Flaubert, — ni mieux ou plus fidèlement observé que lui la doctrine de l’impersonnalité dans l’art ; nul n’a conçu d’une manière plus profonde et plus neuve l’alliance de la science et de la poésie, d’une manière plus conforme ou plus adéquate à l’essence de l’une et de l’autre ; et nul enfin n’a mieux montré, par de plus beaux exemples, ni mieux connu, dans ce qu’ils ont de plus intime ou de plus secret, le pouvoir de la forme et la vertu mystérieuse de la rime, du rythme, et du mot.

Ne le prenons pas là-dessus pour un « impassible » ; et au contraire, pas plus que la force n’eût fait défaut à Lamartine, vous l’avez vu, s’il l’eût voulu, disons d’abord que ni la douceur, ni la grâce, ni le charme, ni la « sensibilité » même n’auraient manqué au poêle du Manchy. Vous rappelez-vous ces beaux vers ?

Sous un nuage frais de claire mousseline,
     Tous les dimanches au matin,