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tils de Sandras — qui d’ailleurs est illisible, tandis que Le Sage est un de nos bons écrivains, — c’est que, des aventures très particulières ou extraordinaires, qui nous intéressent à cause de leur singularité même, ne nous intéressent qu’une fois, et nous les oublions promptement. Elles ne font pas trace en nous, et elles ne s’y confondent point avec les leçons de l’expérience. Notre connaissance de la vie commune n’en est pas accrue. Car, elle ne l’est que par le récit d’aventures qui auraient pu être les nôtres ; et, comme c’est justement ce que nous ne saurions dire ni de celles de d’Artagnan, ni de celles de Lazarille de Tormes, c’est donc cette raison qui fait la supériorité de Gil Blas. Le roman picaresque peut avoir d’autres mérites, et nous convenons qu’il les a. Les mœurs y sont plus caractérisées ; le goût de terroir en est plus prononcé ; c’est l’Espagne tout entière offerte à notre curiosité, l’Espagne de Charles-Quint et de Philippe II. Mais le Gil Blas de Le Sage est plus voisin, lui, de la définition du roman, et peut-être l’eût-il réalisée dès 1715, si deux choses ne l’en avaient perpétuellement détourné : l’intention comique ou satirique, et la