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d’avoir en lui de quoi les ressentir, ou au moins de quoi les comprendre. Mais, après cela, l’amour, le grand amour, l’amour passion, celui qui se déploie dans les drames de Shakespeare, ou dans les tragédies de Racine, ce genre d’amour est assez rare ; — et peut-être faut-il nous en féliciter ! La race du chevalier Des Grieux, et des Valentine ou des Indiana n’est pas de celles dont on doive encourager la multiplication. Il y en aura toujours assez ! Mais ce qui est surtout vrai, c’est qu’en semblant faire de l’amour l’unique préoccupation de ses héros, le roman, jusqu’à Balzac, a faussé la représentation de la vie. L’humanité, en général, est préoccupée de tout autre chose que d’amour ; d’autres intérêts la sollicitent, et d’autres nécessités lui font sentir leur poids. L’amour n’est et n’a jamais été, ni ne peut être la grande affaire que de quelques désœuvrés, dont le temps n’est ni de l’argent, ni du travail, ni de l’action, ni quoi que ce soit qui se puisse transformer en utilité sociale. C’est pourquoi les amoureux auront donc leur place dans la représentation du drame de la vie ; mais ils n’y auront que leur place ; et, de