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LE PARNASSE CONTEMPORAIN.

On peut se demander, il est vrai, si ce qui convient au roman ou au théâtre convient et peut également convenir à la poésie. Les vers de M. Leconte de Lisle sont quelquefois bien beaux, d’une solidité, d’une plénitude et d’une sonorité rares, mais ils sont toujours bien durs, bien froids, bien « marmoréens », comme on dit entre parnassiens. Ceux de M. François Coppée sont toujours faits de main de maître ; mais ils sont souvent bien prosaïques, et d’un prosaïsme si simple, qu’ils en sont positivement plats. Et ceux de M. Sully Prudhomme sont toujours pleins de sens, — ou du moins je n’en connais pas qui ne veuille dire quelque chose, — mais ils sont bien laborieux, toujours, et souvent elliptiques, enveloppés, obscurs, chargés de mots qui s’étonnent de se voir dans un vers français. Ce seront là, si l’on veut, de ces taches dont la faiblesse humaine, en aucun art ni jamais, n’a pu ni ne pourra se garder entièrement. Mais ne serait-ce pas plutôt, chez eux comme chez les autres parnassiens, une conséquence de leur esthétique ? La poésie doit-elle serrer la réalité de si près, suivre si fidèlement les contours des choses, transcrire au lieu de transposer, et, en perdant de son vague, ne perdrait-elle pas quelquefois de son prix, bien loin d’en tirer, comme l’on croit, un autre et nouvel éclat ? Déjà l’art dramatique a reconnu qu’il ne pouvait pas pousser au delà d’une certaine limite la fidélité de ses reproductions, et M. Dumas, qui jadis était parti du même point, a dû protester éloquemment, dans la préface