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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

d’évoquer ces mêmes visions pour vos auditeurs. » Il ajoutait plus loin : « Tant que le poète exprime véritablement sa pensée, il rime bien ; dès que sa pensée s’embarrasse, sa rime aussi s’embarrasse, devient faible, traînante et vulgaire, et cela se comprend de reste, puisque pour lui rime et pensée ne sont qu’un. » Rien de plus vrai que ces observations, — car ce ne sont pas ici des théories, mais bien des observations établies, confirmées, démontrées par l’histoire, — et ceux-là seuls en ont pu contester la justesse qui croient encore, comme au siècle dernier, qu’une même rhétorique, fondée sur les mêmes principes généraux vagues et abstraits, gouvernerait également l’art pédestre d’écrire en prose et l’art ailé de chanter en vers. Lorsque Buffon, pour louer des vers, les déclarait beaux comme de belle prose, il ne se moquait point, et c’était la poétique de son siècle, où, faisant abstraction de tout ce qui constitue le vers et la poésie même, on ne leur demandait plus que les qualités de sens, de liaison des idées, de logique apparente, d’ordonnance extérieure et de correction grammaticale qu’on demande à la prose. Mais, puisque la prose et la poésie sont deux, il faut bien qu’elles aient des règles et des lois différentes ; car, si elles avaient les mêmes, il est trop évident qu’elles ne seraient plus qu’un.

Que, d’ailleurs, les parnassiens aient exagéré la rigueur des règles qu’ils ont établies sur cette base inattaquable et que, dans l’application, pour vouloir