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LE PARNASSE CONTEMPORAIN.

cet ingénieux mais bizarre argument, qu’ayant le plus grand soin d’éviter en prose « la répétition des finales », c’était une preuve que la rime en elle-même était moins propre à charmer qu’à fatiguer l’oreille, l’importuner, et l’exaspérer ? Contre ces paradoxes, qui témoignaient d’une ignorance très excusable de l’évolution historique du vers français, en même temps que d’une méconnaissance impardonnable des lois de l’harmonie de la langue, les parnassiens ont voulu rétablir la rime dans l’intégrité, la légitimité, la souveraineté de ses droits.

Non contents de répéter, comme on l’avait fait plus d’une fois avant eux, qu’à l’idée la plus poétique, la rime ajoute un agrément nouveau ; que la contrainte même qu’elle impose à l’expression, en lui donnant plus de propriété, donne par suite à la pensée plus d’exactitude et de force ; et qu’il est impossible, enfin, qu’en aucun temps de la langue, un médiocre rimeur ait pu passer pour un grand poète, ils posèrent donc, selon un mot de Sainte-Beuve, que la rime est « l’unique harmonie » du vers et que « l’imagination de la rime » est, entre toutes ou par-dessus toutes, la qualité ou faculté qui constitue le poète. « Si vous êtes poète, écrivait M. Théodore de Banville, vous commencerez par voir distinctement, dans la chambre noire de votre cerveau, tout ce que vous voulez montrer à votre auditeur, et, en même temps que les visions, se présenteront spontanément à votre esprit les mots qui, placés à la fin du vers, auront le don