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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

n’avait pas, je crois, encore mis les pieds à Paris, non plus qu’au fameux Glatigny, qui cabotinait alors aux environs de Carpentras ou d’Alençon, c’est à M. Théodore de Banville et à M. Leconte de Lisle que ce titre doit appartenir. L’un et l’autre venaient de faire paraître le premier recueil de leurs Poésies complètes.

Victor Hugo, Lamartine et Musset, dans la première moitié, ou, plus exactement, dans le second quart de ce siècle, de 1825 à 1850, nous avaient donné des chefs-d’œuvre auquel on ne saurait comparer, dans l’histoire de la poésie française, que les chefs-d’œuvre eux-mêmes de Racine, de Molière, de Corneille. Mais, qui dit chefs-d’œuvre ne dit pas ni n’a jamais voulu dire des œuvres qui défient la critique, où l’on ne puisse rien trouver à reprendre, et qui soient enfin l’absolue perfection de leur genre. Or on pouvait penser et l’on pensait effectivement alors que, parmi toutes ses qualités, cette grande poésie lyrique avait manqué d’un peu de précision, de netteté, de réalité même. L’antiquité des Odes et Ballades, par exemple, comme l’Orient des Orientales, n’étaient-ils pas encore un Orient et une antiquité de convention ? Qu’était-ce que cette religiosité vague ou cette philosophie nuageuse qui circulaient dans les Méditations, dans Jocelyn, dans la Chute d’un ange, sans s’y concréter nulle part en un corps de doctrine, ni nulle part prendre forme et figure ? Et, quant à l’auteur enfin des Nuits et de Rolla, que lui était-il arrivé qui ne fût aussi bien arrivé à tout le monde,