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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

pendamment de la richesse et de la solidité du fond. Il est possible, et les exemples au surplus n’en manqueraient pas dans l’histoire, qu’un penseur profond ne soit qu’un médiocre écrivain. Mais est-il bien possible qu’un grand écrivain ne soit qu’un penseur superficiel, et que son originalité se réduise à la mince originalité d’un styliste, c’est-à-dire, en bon français, d’un assembleur de mots ? On aura toujours en France quelque peine à l’admettre. Assurément il y a ce qu’on appelle une technique de la rime et du rythme ; la rhétorique a ses mystères ; il y a un long apprentissage de l’art d’écrire ; et cet apprentissage, à quelques-uns, a duré toute leur vie. Je vais plus loin, et j’accorde qu’il y a des vocables pittoresques ou retentissants, qui font image ou musique, et des assemblages de sons qui caressent l’oreille, comme aussi des rapprochements de syllabes qui flattent l’œil. Mais il faut bien en revenir au sens, et si l’on écrit, c’est d’abord pour exprimer des sentiments ou des idées, non pas pour éveiller des sensations. C’est ce qu’il semble que l’on se fasse un devoir d’oublier parmi nos jeunes poètes et nos jeunes romanciers, et c’est pourquoi nous voyons qu’il n’y a rien de si mince que la substance de tant de vers et de tant de romans que nous pourrions citer.

Mais si je ne puis louer les prétentions de l’école naturaliste en matière de style et si je ne puis accepter la manière dont elle entend le mot, je ne puis nier, d’autre part, qu’elle ait raison au fond. L’observation