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THÉORIE DU LIEU COMMUN.

pas même dans l’histoire, et que le poète ne les a rencontrées que dans ses rêves ; mais Bérénice, la femme qu’on abandonne, ou Monime, la femme que le retour d’un maître qu’elle croyait à jamais disparu vient rappeler brusquement à la réalité de la vie, il n’est pas de journal où vingt fois vous n’ayez lu, mêlée dans la foule des faits divers, leur tragique histoire. Elles sont humaines, et de l’humanité moyenne, de l’humanité dont vous êtes, de l’humanité dont je suis.

Mais voici la question qui se pose : puisque l’invention n’est pas dans le fond, où donc est-elle ? Je réponds : dans la forme, et dans la forme uniquement. Inventer, ce n’est pas trouver en dehors du lieu commun, c’est renouveler le lieu commun et se l’approprier. De quelle manière ? par quels moyens ?

Il y en a certainement, et même il y en a plusieurs. Je ne crois pas, à la vérité, que ce soient ceux dont on use aujourd’hui. Lorsque j’entends parler du soin et de la longueur de temps que nos poètes et romanciers dépensent à la recherche, au renouvellement, à l’invention de la forme, je ne puis m’empêcher de les comparer à des peintres qui prétendraient retrouver le secret du coloris des maîtres à force de combinaisons chimiques et de formules savantes sur le mélange des couleurs. On comprend sans peine ce que peut être la richesse et la solidité du fond, à part et indépendamment même de toute élégance et de toute beauté de la forme ; on comprend moins ce que peut être la beauté de la forme ou son élégance, à part et indé-