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THÉORIE DU LIEU COMMUN.

nouveaux et des inventions ingénieuses ? Je prétends, au contraire, que ce qui leur permet d’être originaux après le chef-d’œuvre et de s’inspirer de Molière sans le copier, c’est la force de la situation et l’éternelle vérité du sujet. L’invincible répugnance des Agnès et des Rosine pour les Arnolphe et les Bartholo, mais l’invincible attrait des Horace et des Almaviva pour les Rosine et les Agnès, voilà le thème, banal s’il en fut et tant qu’il vous plaira, mais inépuisable, et inépuisable, non pas quoique banal, mais parce que banal. C’est en effet parce qu’il est vieux comme le monde qu’il est toujours nouveau, et c’est s’il était d’une invention plus récente qu’il offrirait moins de ressources et qu’il eût été plus promptement usé.

Lieu commun, vous dis-je, encore et toujours lieu commun ! Aussi bien, quoi de plus naturel ? Un lieu commun, dans l’entière acception du mot, n’est-ce pas le lieu, comme dirait un géomètre, où viennent se rencontrer l’expérience universelle et l’universel bon sens ? Et donner à cette expérience une forme, une voix à ce bon sens, n’est-ce pas justement le propre du génie ?

Ainsi, le vaste écho de la voix du génie,
Devient du genre humain l’universelle voix,

parce qu’il a dit clairement ce que la voix du genre humain balbutiait, et qu’il a prononcé la parole magique où tout le monde a reconnu ce que tout le monde voulait exprimer, sans y pouvoir parvenir — propter egestatem linguæ.