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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

dans le pouvoir du lieu commun. Il n’y a pas prescription contre lui. Un chef-d’œuvre ne suffit pas à l’épuiser. Une même donnée peut toujours être reprise, toujours autrement traitée, partant toujours nouvelle. Un homme d’âge, — nous l’appellerons Arnolphe, — est maître et seigneur d’une jeune fille, — nous l’appellerons Agnès, — et prétend l’épouser ; un blondin la lui souffle, — nous l’appellerons Horace. Quelqu’un osera-t-il, après Molière, reprendre ce sujet, et recommencer l’École des femmes ? Ni Regnard, ni Beaumarchais n’hésiteront. Je passe Marivaux, qui s’est trompé ce jour-là. Mais Regnard écrira les Folies amoureuses et Beaumarchais le Barbier de Séville. Effacez pour un moment les différences, et de l’une comme de l’autre intrigue ne retenez que les éléments essentiels. C’est si bien le même sujet, que les mêmes moyens servent à le développer, et qu’il n’est pas jusqu’aux mêmes mots qui n’y soient inévitablement ramenés par les mêmes situations.[1] Vous croyez peut-être que si Regnard et Beaumarchais, après l’École des femmes, ont encore pu traiter brillamment la matière, c’est parce qu’ils y ont introduit des moyens

  1. Par exemple lorsque Bartholo, prenant dans la poche de Rosine « la lettre de son cousin l’officier » prononce les paroles : « Quelle rage a-t-on d’apprendre ce qu’on craint toujours de savoir, » il ne fait que répéter en prose les deux vers d’Arnolphe dans la scène du ruban ;

    Ah ! fâcheux examen d’un mystère fatal
    Où l’examinateur souffre seul tout le mal.