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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

Faust, c’est de l’avoir su reprendre dans le temps qu’elle pouvait développer tout son sens mystique et revêtir toute sa signification, et c’est ce qui suffirait, tout seul, à l’immortalité de Gœthe. Telle est notre façon d’interpréter la théorie du moment.

Ce n’est rien que d’avoir une idée, c’est moins que l’on ne croit que d’être capable de la mettre en œuvre, le tout est de la mettre en œuvre et de l’avoir en son temps :

Oh ! combien de talents ! combien d’efforts célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres !

c’est-à-dire, parce qu’il était trop tôt, parce que l’obscurité régnait encore dans les esprits, parce que l’heure enfin n’avait pas encore sonné. Mais pourquoi n’avait-elle pas sonné ? Parce que l’idée n’était pas encore assez universellement répandue, parce que l’effort de l’invention s’exerçait à vide, parce que les contemporains ni n’en discernaient clairement le sens ni n’en soupçonnaient la portée, parce que la donnée, quelque vérité d’ailleurs qu’elle enfermât en elle, et quelque évidence, n’était pas assez tombée encore à l’état de lieu commun.

Aimeriez-vous mieux peut-être choisir des exemples plus voisins de nous ? S’il est un lieu commun à l’usage de tout le monde, de ceux qui ne font que sentir comme de ceux qui pensent, assurément c’est l’inaltérable indifférence de la nature aux joies et aux souffrances de l’humanité. Quoi de plus banal, et quel thème, à ce