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HISTOIRE ET LITTÉRATURE.

nouveauté, tandis qu’en littérature il n’y aurait pire vieillerie que la rhétorique des nuances et de la dégradation des styles. La prose latine, par exemple, est certainement montée d’un ton plus haut que la prose grecque. Tite-Live est moins « simple » que Xénophon, et Tacite moins « tempéré » que Thucydide. Pareillement, dans l’histoire de notre littérature, la belle prose du xviie siècle est d’un ton plus haut que la belle prose du xviiie siècle, mais celle-ci de trois ou quatre tons plus bas que la belle prose du xixe siècle. Or, selon le ton dans lequel on écrit, il y a des formes qui s’appellent pour ainsi dire les unes les autres. Et c’est pourquoi, détacher, comme on le fait souvent, d’un sermon de Bossuet, par exemple, ou d’une tragédie de Corneille, une expression oratoire ou quelque métaphore tragique pour s’en servir aux usages de la conversation quotidienne, c’est proprement une trahison.

Vous savez si l’on a parlé, dans le temps où nous nous sommes, de la nécessité qui s’impose désormais à toute critique de commencer par se mettre au point des œuvres qu’elle prétend non pas certes juger, mais comprendre, mais interpréter, mais expliquer seulement. Il fallait donc se faire Italien pour entendre Dante, Anglais pour entendre Shakspeare, Allemand pour entendre Gœthe. Par malheur, on n’en a rien fait. On raconte à ce propos, je le sais, l’histoire d’un romantique de la première génération qui voulait traduire Shakspeare. Il alla s’établir à Londres. Au bout