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aussi désastreuse, les livres de théologie, de même qu’une multitude d’ouvrages historiques, et surtout les traités de généalogie, conservaient si peu de valeur, qu’il dut en passer une grande partie par des mains destructrices. D’un autre côté, par suite du dédain que des admirateurs un peu trop exclusifs des classiques professaient pour les productions du moyen âge et de la renaissance, lesquelles, abstraction faite de tout système, conserveront toujours un véritable intérêt historique et philologiqne, personne ou presque personne ne s’occupait plus de l’ancienne littérature française ; personne ne songeait à réunir ces poésies, ces romans, ces chroniques du moyen âge, qui sont aujourd’hui si fort recherchés ; et comme, malgré cela, les littératures grecque et romaine étaient elles-mêmes assez négligées, les vénérables monuments de l’antiquité n’avaient guère plus d’acquéreurs que n’en trouvaient des écrits d’un âge plus rapproché de nous. Au moment de cette manie de régénération, il n’y eut pas jusqu’aux chefs-d’œuvre de nos habiles relieurs des trois derniers siècles qui ne se vissent dédaignés par des amateurs engoués des moires roses et des dorures symboliques de leur Bozérian. L’établissement de l’Empire n’apporta que de bien faibles modifications à cet état de la librairie française. Cependant ce fut alors que se répandirent généralement ces livres de luxe, si dispendieux et d’un usage si incommode, dont l’origine ne remonte guère qu’à l’année 1780 : compensation bien faible, il faut l’avouer, pour toutes les pertes que nous faisaient journellement éprouver des spéculateurs étrangers, en transportant au-delà des mers nos anciens livres les plus précieux, ces mêmes livres que plus tard nous devions racheter au poids de l’or.

Tel était à peu près l’état de choses que la première édition du Manuel eut à constater. Dans la seconde j’ai dû tenir compte de l’augmentation subite survenue dans le prix des livres anciens, par suite du rétablissement de nos relations avec l’Angleterre ; mais ce fut seulement à la troisième que commencèrent les grands remaniements de mon travail. Lorsque je la publiai, le retour de la paix avait ranimé parmi nous des études trop longtemps languissantes, et, en donnant à la jeune génération le loisir de se livrer aux lectures de tout genre, imprimé à la librairie de Paris un mouvement inaccoutumé. À cette époque si fortunée pour le commerce des livres ; la presse ; incessamment active, produisit plus en un seul mois qu’elle n’avait pu le faire en toute une année à la fin du règne de Napoléon. Certes toutes ces productions n’étaient pas également recommandables, mais il fut facile d’y reconnaître et d’y distinguer un certain nombre de bonnes éditions de nos classiques, et particulièrement celles que mit au jour l’industrie éclairée de Lefèvre, libraire éditeur : ces dernières, réunissant tout ce qui peut faire rechercher un livre, c’est-à-dire la correction, l’élégance et la modicité relative de prix, sont venues remplacer avantageusement dans nos bibliothèques des éditions moins complètes et d’un usage moins commode. Alors, et peut-être mieux encore quelques années plus tard, la librairie parisienne semblait avoir atteint le degré de perfection dont est susceptible ce genre de fabrication usuelle ; malheureusement les inconvénients d’une trop grande concurrence, non moins que les exigences d’un public avide du bon marché, ont contraint depuis les libraires d’adopter des procédés plus économiques. Ainsi au bel in-8., dit cavalier, ils ont substitué tantôt des in-4. bâtards, qu’ils ont qualifiés d’éditions compactes, tantôt des in-12 figurant l’in-8., format auquel a bientôt succédé le grand in-18 représentant l’in-12, Les livres de ce genre offrent sans doute de certains avantages que nous ne voulons pas contester, mais il faudrait au moins que l’impression en fût correcte, d’une lecture moins fatigante, et surtout qu’on y employât des papiers d’une bonne qualité : ce qu’on fait