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LA FOLLE EXPÉRIENCE

le roi de l’étranger.. Mais lisez plutôt l’article de Berl dans Marianne, de l’immoralisme plus réfléchi, plus Laclos que Malreaux…

Dans la rue, Philippe revint sur ses pas, frôla deux ou trois fois les mêmes parages, puis s’achemina vers l’hôtel meublé où il rêvait de coucher. Tout de suite, le relent de poisson lui sauta aux narines : ces garnis jouxtaient une poissonnerie et, de cette maison, Philippe n’eut jamais que trois souvenirs précis : l’odeur de la morue, les coudes et les marches des couloirs qui, les soirs d’ivresse, lui rappelaient les maisons des détectives à doubles sorties, enfin la salle à manger de la logeuse, avec meubles lourds, ses longs rideaux de salon de campagne, qui faisaient si drôle, à six heures, dans le soleil du matin.

Philippe, pris de timidité, n’osait quêter sa nuit, et il remonta vers la ville. Il ne savait où s’adresser et l’envie pointait en lui de se jeter sous les roues d’un tram. Alors une peur très vague l’arrêtait. Non pas la peur de mourir, bien qu’il y eût la peur de mourir : Philippe se souvenait de la nuit qu’il s’était empoisonné et que, dans la chambre d’hôpital, une hémorrhagie n’attendait pas l’autre : affaibli, avant de monter, il s’accrochait à son lit, angoissé et s’analysant pourtant. « Y a-t-il un Dieu ? » se demandait-il, sans pouvoir croire, et c’était encore plus terrible que l’enfer, de tomber dans le néant, le rien, ne plus voir, ne plus en-