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LA FOLLE EXPÉRIENCE

res, il les tirait les unes après les autres de ses tablettes :

— On ne sait pas se chausser. Tout le mal vient de là. Les esprits sophistiqués s’en prennent aux conserves, aux nourritures synthétiques. Ils n’ont pas toujours tort, bien qu’un jour, je l’espère, on arrivera aux synthèses naturelles. Mais si on commençait par la base, par le pied. Quand on bâtit sur de mauvaises fondations, l’édifice s’écroule. L’homme mal chaussé ne peut être qu’un homme malade… Vous-même, pardonnez-moi de vous le dire, essaieriez-vous de vous fuir en vous gorgeant de jaune, si vous portiez de bonnes bottines ?

Le docteur Marquette l’avait toisé avec un sourire narquois, et Philippe, découvert, tremblait d’effroi. Il voulait fuir, et il restait cloué à son siège.

– Tiens, vous voyez cette paire de chaussures, je suis sûr qu’elles sont à votre pointure : si vous promettiez de les porter, je vous promettrais à mon tour que d’ici une semaine vous ne prendriez plus une goutte de votre sale drogue.

Le docteur, la main levée, secouait, comme un drapeau, des bottines invraisemblables, ces bottines hautes : jambières, bottines de ski, ou bottines de jeunes Anglaises du siècle dernier. La poussière s’en détachait, une poussière qui, remuée avec la poussière de la chambre, faisait comme un halo gris autour du docteur dans le