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LA FOLLE EXPÉRIENCE

pas de dire que la nuit, c’est pas fait pour veiller.

La première fois que Philippe entendit ces sentences, comme toujours sa dôpe lui suggéra des souvenirs, souvenirs d’horreur.

Étendu dans un garni pire que celui-là, il s’était réveillé la nuit, la gorge sèche, pour boire à sa bouteille de vin aux trois quarts vide. La chambre n’était close que par des légères cloisons qui n’arrivaient pas au plafond. Les voix lui parvenaient, une querelle, avec des gros mots dont il ne percevait que deux sur trois. Philippe se demandait si dans la nuit une femme se refusait à un ivrogne ou si le patron, un gros homme, dont la maîtresse était la plus affreuse maritorne qu’il eût vue, allait la battre. Des voix qui, dans l’ombre et le silence, avaient l’atroce du mélodrame.

Ou l’autre nuit qu’il avait demandé l’hospitalité d’un refuge religieux et que, faute de place, on l’avait fait coucher sur des chaises, dans un parloir minuscule. Il y avait des éclats de voix et des rires, des paroles d’un accent bizarre qui avaient, dans son ivresse, transporté Philippe dans le monde de la dispersion des langues, où il étouffait. Le matin, il avait su que c’étaient les boulangers qui passaient ainsi la nuit et il avait quitté tout de suite le refuge, dégoûté de la charité publique : l’absence de beurre aux repas, et de sucre avait beaucoup étonné ce naïf, aussi,