Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
DE PHILIPPE

à peine. Les jambes molles, dans un bien-être précaire, il attendait sans douleur la fin de tout.

Un gros homme, veston carré, pantalon carré, chapeau carré — toutes les lignes arrivaient à quelque carré fantomatique — à pas lents, vint s’asseoir à la table de Philippe. De gros yeux, un front buté, une énorme moustache, et un dos rond rappelaient l’Allemand endormi devant son bock. Allemand, il l’était de langue, et ce Suisse, cuisinier quelque part, Philippe le rencontrait là assez souvent : l’homme lui lisait des chants d’un poème épique en bas-allemand qu’il avait consacré à Frédéric II, son rêve et sa marotte :

— Je vous le ferai publier en traduction dans les revues où j’ai mes entrées, lui avait dit un jour Philippe.

Le gros homme l’avait cru et, depuis lors, chaque fois qu’il en avait l’occasion, il se collait à Philippe, comme un gros toutou, qui veut se faire caresser la nuque.

— Bonjour, fit Philippe, qui parvint à se réveiller et qui voyait une dupe éventuelle, mes affaires vont changer de cours… J’ai rencontré, hier, Georges Duhamel…

L’autre ouvrait de grands yeux.

— Vous connaissez au moins le nom de Georges Duhamel ? Et Julien Benda ? Ce sont des écrivains français célèbres. Hier soir, Julien Benda donnait une conférence, et Georges Duhamel, qui voyage au Canada, préparant une