Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
LA FOLLE EXPÉRIENCE

Philippe quitta l’église, poussé par sa hantise de la jaune : il restait sur son appétit, il avait l’impression de laisser une salle à manger, sans avoir mangé.

Un gros homme à missel, ces volumineux missels à tranches rouges, sortait en même temps. Philippe le suivit quelques pas, puis l’aborda :

— Je n’ai pas mangé depuis vingt-quatre heures, pourriez-vous me donner quelques sous pour l’amour de Dieu ?

Philippe glissa sur les derniers mots, il était déjà décontenancé et il regardait partout, si on ne le voyait pas. Le gros homme, lui, fixait la serviette. Il hésita, fut pris d’un tremblement, ses lèvres s’agitaient, sans prononcer le moindre mot, il fouillait dans ses poches et tendit une pièce de monnaie, pour repartir, pour fuir aussitôt. De même, Philippe le sang aux joues — il ne sentait plus du tout sa dépression — Philippe s’enfuit. La honte le faisait bredouiller tout seul, Quand il fut dans une rue transversale, il respira largement, et ce fut au pas de course qu’il gagna la pharmacie, la seule qui fût ouverte à ces heures matinales.

Son commis était là, au comptoir, lisant un des journaux français que Philippe lui avait donnés la veille :

— Pour l’amour du ciel, de la jaune tout de suite, je me meurs.

L’autre riait, prenait son temps. Philippe ar-