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DE PHILIPPE

que Lucien avait la religion de quelques sentiments. Or plus Lucien s’enfonçait dans l’anormal plus il tenait à ses alibis, qui étaient sans doute sa vraie nature.

— Dis-moi où tu l’as vue ?

Lucien avait un visage d’enfant en ce moment, d’enfant qui quête un plaisir. Philippe eut honte de son mensonge : il aimait à faire plaisir et ne fut jamais cruel qu’à son corps défendant. Il lui fallut donc se « rhabriller » par un autre mensonge :

— Je t’écrirai une longue lettre là-dessus au cours de la journée et j’irai te la porter moi-même au journal.

Songeant à Claire, Philippe croyait que Lucien serait aussi heureux de recevoir une lettre de lui, il s’en promettait du reste un plaisir, celui des confidences, fussent-elles mensongères. Il se trouvait aussi que Lucien se réjouissait de cette conclusion, qui ajoutait du romanesque à leurs amours, un romanesque livresque en diable, comme ils l’aimaient.

— Si tu voulais vivre autrement, Philippe ?

C’était un cri parti du cœur bourgeois de Lucien, de son cœur amical et fraternel aussi. Aurait-il pu comprendre ? Aurait-il cru que, plus que le goût du vin et des drogues, c’était l’orgueil, un orgueil timide, qui s’imaginait toujours blessé, qui avait conduit Philippe à cette vie ? Elle était la condition, le tremplin de ses fiertés : il n’aurait jamais eu le courage