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LA FOLLE EXPÉRIENCE

égoïste ne parlait à personne, ne songeait à personne que pour qu’on lui serve, pour qu’on le serve, pour en jouer ou tirer quelque accord ou quelque cadeau. S’était-il même déjà abandonné à une lecture ? Et c’est pourquoi, par retournement et refoulement, il prêchait sans cesse la gratuité, qu’il professait l’horreur de l’utile et du service.

Voire, lorsque Philippe avait de l’esprit, qu’il faisait un mot ou qu’il trouvait une remarque heureuse, dont il se louait, c’était toujours lorsque la fatigue l’empêchait de suivre et poursuivre une lecture, une conversation. On n’est pas Philippe, on devient Philippe. Philippe s’expliquait ainsi : « C’est moi qui change d’idées et de sentiments, eux, ce sont les autres qui les changent d’idées et de sentiments : eux, c’est pour de l’argent et par crainte, moi, c’est pour ma fantaisie. »

Lucien, tâtant le cuir de la serviette, voulut en partant, par un compliment s’excuser d’un départ si brusque :

— Comme tu as une belle serviette.

Frétillant tel une petite fille qui veut rejoindre ses compagnes qui dansent à la corde, il reprit ensuite d’un air aguichant, toujours le même lorsqu’il abordait ce sujet :

— Je ne puis t’aider aujourd’hui, Charlie me coûte tellement cher… Mais je te conterai ça, un autre jour, je suis trop pressé…