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DE PHILIPPE

le goulot, puis remit la gourde à Pierre qui la laissa retomber.

— Fais attention, tu es complètement ivre.

Philippe la fit disparaître dans une de ses poches. À cet instant, le visage rouge d’alcool, ce fut comme ces afflux de désir qui lui montaient naguère à la face. Il était tendu vers il ne savait quoi, il voulait quitter Pierre, le laisser là, et il savait bien qu’il voulait aller vendre la gourde chez quelque Juif. Comme si la visite chez l’abbé l’avait changé, il se dit : non ! et il mit lui-même la gourde dans la poche de Pierre.

Il le détestait, pour ce geste charitable qu’il venait de faire : « Où vais-je me procurer maintenant la jaune ? » Il regrettait son action, mais il était trop timide à cette minute pour reprendre la gourde de l’ivrogne.

Celui-ci était devenu sentimental :

— Si tu voulais, Philippe, si tu voulais ! Mon frère me disait encore hier : « Si Philippe voulait, il a tant de talent ! » Jean t’aime, Philippe, tu sais, et il s’y connaît, Jean, va donc le voir…

Philippe ne pouvait rester plus longtemps avec cet ivrogne qui le dégoûtait, et il s’enfuit encore comme un voleur, passant devant le garçon de la caisse sans lui dire un mot. Il avait emporté la serviette de Pierre. Cela s’était fait inconsciemment et, lorsqu’il s’en aperçut, ce fut un poids de moins : il aurait quelque chose à échanger contre la jaune et,