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LA FOLLE EXPÉRIENCE

Le notaire avait retenu Philippe des heures ; Philippe, nerveux à crier, s’était levé vingt fois et ne pouvait se défaire du vieillard, qui lui avait montré son nom partout, dans des programmes de distribution de prix, des comptes-rendus de la Chambre des notaires, même dans un dictionnaire professionnel français, et, à la fin, lui avait donné ses œuvres grotesques, publiées à compte d’auteur et hors commerce :

— C’est trop intime pour être mis dans le public. Les courants d’air déflorent les beaux sentiments.

Cela avait été dit d’une belle voix grave et d’un ton emphatique, sans le moindre sourire.

C’est que le notaire Cusson avait dès mil huit cent quatre-vingt-seize endossé la redingote de sir Wilfrid Laurier, dont il avait la grave et solennelle calvitie, avec les majestueuses mèches blanches. Jusqu’à la cravate rouge et le poli des bottines qui rappelaient l’homme d’État. Le notaire n’avait oublié ni le léger accent anglais ni la prononciation exagérément canadienne de certaines expressions triviales, lorsqu’il condescendait à la familiarité.

Il portait aussi dans la pochette droite de son gilet une montre qu’il avait fait voir à Philippe :

— Un cadeau d’un de mes aïeux, dans la ligne paternelle, un Anglais des environs de York. (de York, il accentuait fortement).