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Nos habits sont écarlates,
Nous portons au lieu d’chapeaux
Des bonnets et point d’cravate ;
Ça fait bross’pour les jabots.
Nous aurions tort de nous plaindre,
Nous somm’s des enfants gâtés
Et c’est crainte de nous perdre
Que l’on nous tient enchaînés.
La chaîne, etc…

Nous f’rons de belles ouvrages,
En paille ainsi qu’en cocos
Dont nous ferons étalages
Sans qu’nos boutiqu’s pay’d’impôts ;
Ceux qui visitent le baigne
N’s’en vont jamais sans ach’ter,
Avec ce produit d’l’aubaine
Nous nous arros’rons l’gosier.
La chaîne, etc…

Quand vient l’heure de s’bourrer l’ventre,
En avant les-z haricots !
Ça n’est pas bon, mais ça rentre
Tout comme le meilleur fricot.
Not’guignon eût été pire
Si, comm’de jolis cadets,
On nous eût fait raccourcire
À l’Abbaye d’Mont-à-r’egret.
La chaîne, etc…[1]

Certes ce devait être terrible d’assister à de semblables scènes, heureusement depuis un demi-siècle disparues. Au moment du ferrement des chaînes, des témoins oculaires ont remarqué que plusieurs forçats pleuraient… Ces pleurs n’auraient-ils pas dû suffire à convaincre qu’ils n’étaient pas tout à fait perdus ?… Hélas, ces pauvres hères étaient non seulement la risée de leurs compagnons de chaîne, mais encore abreuvés d’outrages par les féroces argousins qui rivaient leurs fers.

Vers le soir, les gardes chiourmes distribuaient le dîner. Les forçats

  1. Extrait des Mémoires de Vidocq.