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Les mots disséminés qu’il lui jette à la face
En un français tudesque, avec des éclats tels
Que l’on dirait Wotan foudroyant des mortels.
Ahuri, chaviré, glacé sous l’invective,
Qu’adviendra-t-il tantôt du pauvre à la dérive,
Épuisé de l’assaut dont sa tête est le prix ?

Trahison, Spionnage, et quelque mot semblable,
Sont dans ce baragouin les seuls qu’il ait compris.
Il comptait exposer que s’il en est coupable,
Il l’a fait par devoir, par amour, et pour rien,
Que si c’était à faire, il le referait bien,
Qu’il l’a fait pour aider, par delà les frontières,
Ceux qui tombent pour nous, nos enfants et nos frères,
Et pour que les conscrits, les rejoignant au front,
Y vivent de leur vie et fassent ce qu’ils font.
Il aurait dit cela, simplement, sans emphase,
Il l’avait préparé, mais puisque c’était non,
Et qu’on l’interloquait, qu’on lui coupait la phrase,
C’est à son défenseur à le dire en son nom.
Défense au pied levé, mais néanmoins défense,
Défense improvisée au cours de la séance,
Au moment où chacun est fixé sur son sort,
Le châtiment requis, les galères, la mort,
Venant de résonner comme un glas à l’oreille.
On n’a vu jusqu’ici ni dossier ni client,
— Si l’on peut sous ce nom parler du patient ; —
À peine entrevit-on quelqu’un des siens, la veille.
Il faut plaider pourtant. A-t-on assez souffert
Des affronts, du Secret ? Il faut croiser le fer.



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