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46. Plus encore que dans la prose, en poésie l’ellipse (retranchement de certains termes nécessaires à la construction, mais inutiles au sens) donne à la phrase une allure vive, légère et aussi énergique et fière :

Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud.

À cet exemple emprunté à Th. Corneille (Essex, IV, v) il faut joindre le suivant où l’absence d’une ellipse supposée obligerait à l’emploi du pluriel pour le verbe va (vont), enlevant ainsi au texte ce qui en fait le charme, la simplicité, la douceur et l’harmonie :

Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

47. La poésie présente de nombreux exemples de syllepse : accord, en genre et en nombre, d’un mot non avec celui auquel il se rapporte grammaticalement, mais avec celui que l’auteur a en vue :

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge,
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin…

Racine rapporte le mot eux non à pauvre qui est au singulier, mais à l’idée de pauvres, qu’il a en vue. — Voici un autre exemple, fort osé, de syllepse (de Musset, Premières Poésies : À quoi rêvent les jeunes filles) :

Pourquoi pas comme tous ? Leur étoile est guidée
Vers un astre inconnu qu’ils ont toujours rêvé :
Et la plupart de nous meurt sans l’avoir trouvé.

Le verbe meurt s’accorde ici avec le mot la plupart, alors que grammaticalement il devrait être employé au même nombre que le complément nous.


§ 1. — Vers libre


48. Les lignes qu’on vient de lire n’ont eu jusqu’ici pour objet que l’examen de la poésie régulière, et l’exposé qui précède n’a été que le résumé des règles généralement observées par les poètes auxquels le monde littéraire accorde le nom de classiques : Corneille, La Fontaine, Boileau, Molière, Racine, Voltaire, Florian, etc., etc.