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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

Enfin, nous pouvons supposer qu’après Rabelais et Clément Marot[1] le célèbre Mélanchton lui-même ne dédaigna point de travailler pour maint imprimeur lyonnais son coreligionnaire. En 1556, François Gaillard[2] terminait un ouvrage intitulé Pub. Terentii Aphri comœdiæ sex, qu’il déclarait revu avec un soin extrême sur les toutes dernières éditions[3]. Avec une réelle humilité le reviseur déclarait : Ego vero tametsi non salis instructus essem veteribus exemplis, quibus in tali re opus erat ; et il ajoutait : tamen homini amico, in sanctissimo negotio nolui deesse. Il est plaisant de connaître le nom du correcteur qui, s’abaissant de la sorte, présentait non moins simplement son travail : Pedagogis Philippus Mélanchton S. P. D. Un tel aveu d’humble science de la part d’un tel homme, quelle leçon pour un correcteur ! Comme nous voici loin de ces épithètes louangeuses qui émaillent toutes les productions du xvie siècle, loin de ces compliments hyperboliques que se prodiguent à l’envi libraires, imprimeurs, auteurs et correcteurs : vir ingeniosus, inclytum virum, eximium virum, fidelissimi calcographi, calcographus fuit probus et humanus vir, doctorem utriusque juris, famosissimus unpressor !

Quelques contemporains de Mélanchton avaient cependant de la valeur de ce savant une opinion fort différente de celle qu’il possédait lui-même à son égard. Sur une édition des Dialogues de Lucien de Samosate, parue en 1535, l’imprimeur Sébastien Gryphius se contente d’écrire, peut-être à la sollicitation du traducteur : D. Erasmo Rot. et Thoma Moro interpretibus : His accessit ex Philippi Melancht. versione Oratio Luciani. Érasme, Thomas Morus, ces deux noms possédaient au xvie siècle une réputation mondiale ; ce fut, sans doute, un honneur jugé par Mélanchton suffisamment précieux de voir son nom accompagner ceux de ses émules en science. Mais Gryphius devait faire plus : au titre du Salluste édité la même année il ajoutait : His accesserunt Philippi Melanchtonis doctæ simul ac perbreves annotationes. Doctæ, dans ce simple mot quelle récompense pour la modestie du correcteur !

Michel Servet, médecin et théologien, fut au xvie siècle un adepte fervent et passionné de la doctrine protestante, en même temps qu’un

  1. Voir page 58.
  2. Lugduni excudebat Franciscus Gaillardus, 1556.
  3. Post omnes omnium editiones summa denuo vigilantia recognitæ.