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Trop longtemps, sous ce rapport, le correcteur a été traité comme un véritable paria. Trop longtemps le correcteur a été considéré comme un nomade pour qui toutes les places sont bonnes : dans un coin à peine éclairé, jamais chauffé, un tabouret pour s’asseoir, un carton posé sur une casse hors d’usage, et voilà un bureau modeste, d’une installation peu coûteuse, certes, mais combien digne d’un autre âge ! Parfois, cependant, un bureau, un vrai bureau lui est dévolu, mais exposé aux rigueurs des saisons ou situé dans la partie la plus malsaine de l’atelier. Toutes les mauvaises odeurs semblent s’y donner rendez-vous. À l’époque des grandes chaleurs en particulier, la situation est déplorable : une atmosphère empuantie et suffocante décuple la fatigue du correcteur.

On ne saurait dire que ce tableau est exagéré. Tant de correcteurs ont souffert, sans se plaindre, de cette situation qui n’est point nouvelle !

Breton[1] disait, en 1843 : « Ces accidents morbides (troubles de la vue, perturbation dans les centres nerveux) se rencontrent souvent chez les correcteurs, surtout aujourd’hui qu’ils sont astreints à passer dix heures consécutives, et quelquefois davantage, dans une espèce d’échoppe que l’on décore du nom de bureau. Là le correcteur, atteint déjà moralement par la nature de son travail, souffre encore physiquement de la posture qu’il est obligé de tenir : la barre d’arrêt d’un pupitre trop haut, le bord anguleux d’une table trop basse lui meurtrissent le thorax, et ses heures de travail sont des heures de torture que chaque jour aggrave. »

En 1866, Boutmy écrivait dans le journal l’Imprimerie : « Aussi, et nous avons le regret de le dire, le coin le plus obscur et le plus malsain de l’atelier est d’ordinaire le réduit où on le confine. C’est là que pendant de longues heures il se livre silencieusement à la recherche des coquilles, heureux quand il n’est pas troublé dans sa tâche ingrate par les exigences incroyables de ceux qui dirigent ou exécutent le travail. »

  1. Physiologie du Correcteur d’imprimerie, p. 26 ; Paris, 1843. — D’après les termes mêmes de cette monographie, Breton (il ne s’agit pas ici, nous le répétons, du « père Breton », le typographe et écrivain remarquable que notre génération a connu professeur à l’École Estienne) aurait été correcteur une vingtaine d’années environ, avant de devenir maître imprimeur.