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spéciale, celle des employés de l’atelier » ; s’il n’est point marié, le maître lui doit le logement.

Dès cette date, les ouvriers élèvent les plaintes les plus vives « contre la désordonnée avarice desditz maistres », cependant que ces derniers ripostent : « Il en a d’aulcuns des compagnons que l’on ne peut contenter de nourriture, soit en vin, pain, pitance, et qui veulent faire la feste, d’un jour ouvrier, et besongner aux jours de feste. »

Les patrons avaient-ils réellement raison de se plaindre, les ouvriers avaient-ils légitime sujet de récriminer ? Il est malaisé de faire à chacun un juste partage des responsabilités ; nous savons seulement qu’en avril 1539, après entente, les typographes lyonnais « monopollés » avaient « discontinué ledict train d’imprimerie, quitté leur besongne et desbauché les aultres compagnons et apprentis » ; ils justifiaient leur attitude par trois griefs principaux : « Leurs maîtres ne les nourrissaient plus comme autrefois, leurs gages avaient été réduits, enfin on ne les laissait pas libres d’organiser leur travail à leur gré[1]. »

Désireux de couper court à toutes récriminations, les maîtres proposèrent de payer les salaires entièrement en argent ; à cet effet, ils offrirent la somme de 6 sols 6 deniers pour chaque journée de travail (5 francs de notre monnaie actuelle[2], d’après M. Hauser ; 3 fr. 90 à 4 francs, selon M. d’Avenel[3]). Les compagnons repoussèrent cette proposition : ils estimaient, sans doute, que la somme de 6 sols 6 deniers était insuffisante pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille ; mais les documents ne disent point expressément que tel fut

  1. D’après L. Radiguer, Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes.
  2. Calculée en 1905.
  3. Il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, de fixer un rapport exact de la valeur de la livre tournois sous l’ancien régime à celle du franc de l’époque contemporaine (avant 1914). — La valeur nominale de la livre, c’est-à-dire son rapport avec le marc d’argent fin, varia fréquemment au cours des temps. La valeur réelle, le pouvoir d’achat, c’est-à-dire la quantité d’objets que l’on pouvait se procurer à l’aide d’une somme donnée, telle que la livre, est encore plus délicate à déterminer, puisque nous manquons la plupart du temps d’une base certaine pour l’estimation du prix de ces différents objets. Enfin, nous connaissons encore moins la quantité de choses jugées strictement indispensables par la classe ouvrière pour sa vie normale, et la limite au delà de laquelle certains achats étaient considérés comme luxueux. Aussi les divergences sont-elles nombreuses entre les écrivains qui se sont occupés de la question : elles vont du simple au double, et même plus parfois. — Les chiffres de base que nous donnons, empruntés à M. d’Avenel, permettront, malgré tout, au lecteur de se faire une idée approximative des salaires aux diverses époques envisagées.