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l’autre : « son amour-propre meurtri, sa valeur méconnue, ses aspirations étouffées » ne sont-ils point une limite suffisante à la patience de ce dernier ? « Avoir un chef qui n’est point de son étoffe, dont la banalité froisse sa délicatesse, dont l’éducation rudimentaire égratigne son raffinement, dont il sent l’infériorité intellectuelle et dont il subit néanmoins la supériorité hiérarchique », est-ce enfin assez ? Le correcteur doit-il encore se laisser dominer entièrement, se résigner à un rôle passif, gros cependant de conséquences ; peut-il se réclamer dans l’accomplissement de ses fonctions au moins de ce peu de liberté et de libre arbitre auxquels lui donnent droit et sa situation et ses connaissances ? Alors qu’on le veut rien, peut-il exiger être quelque chose ?

Et pourquoi cet antagonisme irraisonné, involontaire parfois sans doute, du prote à l’égard du correcteur ? Pourquoi, à moins de nécessité absolue, cette ingérence d’un technicien dans des questions littéraires dont trop souvent il lui serait impossible de solutionner les plus minimes difficultés ? Le prote ne peut-il entrevoir les conséquences d’une aussi regrettable attitude : « le mauvais exemple donné à toute une équipe de typographes qui, pour si intelligents que soient ceux qui la composent, n’en arrivent pas moins à tenir le correcteur pour un personnage insignifiant, un être inférieur, auquel on ne doit aucun égard ».

Non point que nous songions à dénier au prote son droit d’observation. Puisqu’il est le premier, le chef, le responsable vis-à-vis du patron, incontestablement il doit s’efforcer de sauvegarder cette responsabilité ; mais il y a la manière : « le correcteur est un rouage utile, qui a son importance dans le mécanisme de l’imprimerie : il mérite mieux que d’être considéré comme une sorte de bouc émissaire que l’on peut charger de tous les méfaits ».

« Parmi les divers personnels que le prote aura à commander, il trouvera toujours en bon nombre des confrères instruits, distingués, pleins d’amour-propre, corrects, compensant par leur déférence les peines que d’autres auront pu lui causer[1]. » Le correcteur n’est-il point de ces « confrères instruits » ? Pourquoi alors le tenir constamment à l’écart ? Pourquoi le jalouser ? Pourquoi même le brimer[2] ?

  1. Ch. Ifan, le Prote, p. 47.
  2. « Lorsque le correcteur, que son érudition, d’ailleurs, place généralement au premier rang, s’acquitte avec zèle et discernement de la partie si importante d’une bonne