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quels il est impossible de songer à atteindre la perfection : les ratures sont nombreuses, de lecture difficile : elles impliquent une fatigue et une perte de temps certaines ; d’autre part, l’écriture est réellement défectueuse : les déliés sont imparfaits, voire même manquent totalement ; les jambages sont uniformes ; pas de barre dans les t, pas de point sur les i ; tous les e sont muets et trop fréquemment peuvent être confondus avec les i ; les u et les n, les e et les c, les t et les l, les g et les y sont la cause de confusions regrettables. — Le résultat est fatal : cette lecture laisse subsister de nombreuses imperfections ; bien plus, elle est parfois elle-même la cause de nouvelles erreurs.

Le mal est bien plus grave encore, lorsque le style de la rédaction laisse à désirer, lorsque le manuscrit est hérissé de mots techniques nouvellement introduits ou acceptés dans la langue française, de noms propres, de mots patois, lorsque, enfin, le texte est bourré de formules ou d’expressions chimiques, algébriques, etc.

En général, les plus mauvais calligraphes se lisent de manière relativement aisée ; de ce fait ils déduisent la conclusion que le compositeur, et par suite le correcteur, déchiffrera leur texte aussi bien qu’ils le font eux-mêmes. Mais cette conséquence n’est rien moins que rigoureuse ; parfois, en effet, certains des auteurs dont nous parlons ici, qui ont écrit dans une hâte fiévreuse un texte d’actualité, peuvent à peine, au milieu du calme et de la solitude, « reprendre le fil » de leur littérature. Témoin cette anecdote arrivée au « Prince de la critique » : « Un matin, un typographe du journal les Débats arrive chez Jules Janin et place sous les yeux de l’écrivain une page dont il n’avait pu attraper miette. Janin saisit le feuillet d’une main triomphante, ajuste son lorgnon, essaye d’épeler et… : « Ah ! mon ami, ma foi, j’aurais plutôt fait de recommencer une page de copie. »

Ces manuscrits sont moins rares qu’on ne le pense. Désagréables au compositeur, ils sont pour le correcteur la cause d’une dépréciation imméritée. Malgré des efforts inouïs, malgré une revision attentive des premières, le correcteur « en laisse ».

Mais ces mêmes manuscrits ne sont pas moins désavantageux pour le patron imprimeur. Les conséquences d’une lecture en premières défectueuse se feront lourdement sentir dans la suite du travail : corrections d’auteur plus nombreuses, revisions obligées d’épreuves