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gain de cause aux compagnons en limitant le nombre des apprentis à deux « par presse travaillante » (un à la presse, l’autre à la casse).

Un autre souci de la bonne correction des livres devait venir aux compagnons de l’introduction dans la profession d’une catégorie de travailleurs auxquels fut donné le nom d’alloués. Employés dans l’imprimerie dès la fin du xviie siècle, les alloués étaient destinés à remplacer les apprentis dont le Pouvoir royal avait limité le nombre, nous l’avons vu : les maîtres avaient pensé esquiver ainsi les désagréments de leurs nombreuses discussions avec les compagnons. Mais ces derniers, le 20 novembre 1676, engageaient un procès contre les maîtres imprimeurs qui « avaient chez eux des petits garçons pour ouvrir et fermer la boutique, qui, dans la suite, devenaient ouvriers ». En 1713, la situation des alloués fut rendue légale[1] ; et, le 28 février 1723, un arrêt du Conseil confirmait cette décision. — Les compagnons rédigèrent, à l’occasion de cet arrêt, des remontrances où « ils exposèrent qu’il était inutile d’augmenter le nombre des ouvriers, déjà trop élevé puisque beaucoup se trouvaient sans travail, en maintenant deux manières d’entrer dans le métier, l’une longue et difficile[2] (celle des apprentis), et l’autre aisée. (celle des alloués)[3] : tous se porteraient vers cette dernière, il en résulterait la triste perspective que, dans peu d’années, il n’existerait plus un seul compagnon instruit, sachant le latin et, par conséquent, capable de produire des ouvrages corrects[4] ».

On peut insinuer, toutefois, que, derrière cette préoccupation fort louable d’éviter la production de « livres corrompus et vitiez », d’autres motifs moins honorables se cachaient. La limitation du nombre

  1. Déclaration, donnée à Versailles, le 23 octobre 1713, en interprétation de l’édit d’août 1686, concernant les libraires et imprimeurs de Paris : Art. 2 : « Il sera permis à tous maîtres imprimeurs et leurs veuves de prendre, pour travailler dans leurs imprimeries, autant d’ouvriers qu’ils en auront besoin, quand même ils n’auroient pas fait d’apprentissage chez un maître imprimeur, à condition néanmoins que lesdits maîtres imprimeurs et leurs veuves donneront de l’ouvrage par préférence aux compagnons qui auront fait apprentissage. »
  2. Les apprentis étaient, à cette époque, tenus de posséder une instruction assez étendue : ils devaient connaître le latin et lire le grec ; ils passaient avec le maître un contrat dont la durée était en général de quatre années ; ils pouvaient, après avoir été compagnons, devenir maîtres (voir, p. 104, art. 5 du règlement de 1649).
  3. Les alloués ne furent, dès les premiers temps, astreints à aucune condition pour entrer dans l’imprimerie ; l’accès à la maîtrise leur était interdit.
  4. D’après J. Radiguer et P. Mellottée.