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Le correcteur dont le premier devoir est de « reproduire fidèlement le manuscrit de l’écrivain » doit-il se borner à reproduire servilement le texte ?

Question troublante autour de laquelle ont bataillé nombre d’auteurs techniques sans atteindre à une solution convenable et qui a soulevé des discussions passionnées dont on retrouve les échos à toutes les époques.

Dans des termes qui ne laissent pas que d’inciter à comprendre que depuis toujours les imprimeurs ont « une certaine réputation de fervents de la dive bouteille », Étienne Dolet se plaignait déjà de la licence avec laquelle en son temps les compagnons en usaient à l’égard des rédactions dont certains termes n’avaient point l’heur de leur agréer : « Quelle négligence, quel manque de soin montrent les imprimeurs ! Combien de fois ils sont aveuglés et mis hors d’état de travailler par la boisson ! Quels ivrognes ! Avec quelle hardiesse, quelle témérité, quelle absence de raison ne font-ils pas des changements dans les textes si, chose qui se présente souvent, ils ont quelque teinture littéraire ! »

Plus près de nous, Bertrand-Quinquet écrivait[1] : « Il est encore une observation essentielle, c’est que, lorsqu’un imprimeur ne travaille point pour son compte, il doit être très scrupuleux sur les corrections, se conformer rigoureusement au mode voulu par celui qui le fait travailler ; et prendre bien garde surtout à s’exposer, par des changements, à ce qu’on lui laisse un ouvrage dont il faudrait encore qu’il payât tous les frais. »

En 1565, dans une longue requête les imprimeurs de la ville de Genève exprimaient le désir : … « Que les copies des auteurs ne seront changées par les imprimeurs sans le consentement des auteurs ou des commis sur l’imprimerie[2]. » — Nous ne connaissons pas les faits qui motivèrent cette étrange requête. Peut-être faut-il y voir une tentative de réaction contre des abus analogues à ceux dont se plaint si amèrement Étienne Dolet ; peut-être aussi un littérateur « au petit pied », ayant commis dans un travail quelques lapsus calami « servilement reproduits » par l’imprimeur, avait-il émis la prétention

  1. Traité de l’Imprimerie, p. 259. — Nos auteurs modernes sont, sur ce point particulier, entièrement d’accord avec Bertrand-Quinquet.
  2. E.-H. Gaullieur, Études sur la Typographie génevoise, p. 117.