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faire preuve à l’égard de tout et à l’encontre de tous n’est que le fait exceptionnel d’un personnage grincheux ou infatué de son importance, comme il s’en rencontre dans toutes les professions, et non point d’un employé qui sait les difficultés de son métier.

Cependant, d’une manière, générale, nombre d’auteurs typographiques prêtent au correcteur un caractère plutôt difficile. En quelques lignes, Boutmy[1] décrit ce type et expose de cet état d’âme des raisons qui, croyons-le, lui sont personnelles : « Au point de vue caractère, le correcteur n’est pas exempt de certains défauts, qu’on relève d’ailleurs avec assez d’amertume ; mais ces défauts, on doit les attribuer plutôt à sa situation qu’à la nature. Il ne faut pas oublier qu’il est presque toujours un déclassé : aussi semble-t-il juste d’excuser plus qu’on ne le fait les correcteurs auxquels on serait tenté de reprocher leur caractère maussade, quelquefois peu bienveillant, plutôt porté à la tristesse et à la misanthropie qu’à la gaieté. Encore une fois, il faut se souvenir qu’avant d’en venir là, ils ont souffert de pénibles froissements, éprouvé de nombreuses déceptions et lutté contre le mauvais vouloir de certains typographes dont ils sont, comme on dit, la bête noire. On a même été jusqu’à prétendre que le compositeur et le correcteur sont ennemis nés. Cela a-t-il jamais été vrai ? En tous cas, il semble qu’il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Ce sont tout simplement deux compagnons attelés à un rude et incessant labeur. »

« Le compositeur et le correcteur sont ennemis nés. » Boutmy a pu, dans certaines imprimeries, rencontrer cet antagonisme qui met en opposition incessante le chasseur et le chassé. Mais ce sont, il le reconnaît lui-même, choses plutôt rares et anciennes, nées de circonstances ou de situations exceptionnelles.

Le correcteur qui remplit consciencieusement sa tâche ne s’inquiète point d’ailleurs de ces « coups d’épingle » plus ou moins profonds. Il y a beau temps que les correcteurs sont moqués ! L’antiquité des brocards lancés à leur adresse leur est même parfois un titre, une façon de parchemin. S’ils se savent moqués, ils n’ignorent point qu’ils sont quand même toujours enviés. Ce n’est pas sans une légère pointe d’émotion, sans un faible tremblement que ceux mêmes qui paraissaient leurs adversaires les plus excités ont, un jour, sollicité un siège

  1. Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 46.