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Lorsque Caroline recevait de la compagnie, son habitude était de se tordre nerveusement les mains, de rougir un peu, de s’avancer précipitamment, quoique avec quelque hésitation. En ces circonstances, elle manquait tout à fait d’usage, bien qu’elle eût passé une année à l’école. Aussi, ce jour-là, ses petites mains blanches se maltraitèrent rudement l’une l’autre, pendant qu’elle se tenait là debout, attendant l’arrivée de mistress Sykes.

Elle entra majestueusement. C’était une grande lady, au teint bilieux, qui faisait une ample et assez sincère profession de piété, et exerçait largement l’hospitalité envers le clergé ; derrière elle marchaient ses trois filles, éclatant trio, toutes trois d’une belle venue et plus ou moins jolies.

En Angleterre, il est un point à remarquer chez les dames habitant la campagne : jeunes ou vieilles, jolies ou laides, tristes ou gaies, toutes (ou presque toutes) ont une certaine expression stéréotypée sur leurs traits, qui semble dire : « Je sais, je n’en tire pas vanité, mais je sais que je suis le modèle de la femme comme il faut ; que toutes celles que j’approche ou qui m’approchent observent donc attentivement en quoi elles diffèrent de moi par l’habillement, les manières, les opinions, les principes et la conduite, car en tout cela elles ont tort. »

Mistress et misses Sykes, loin de faire exception à cette observation, en étaient la confirmation éclatante. Miss Mary, jeune personne d’assez agréable physionomie, portait sa bonne opinion d’elle-même avec quelque dignité, quoique sans roideur ; miss Harriet, une beauté, la portait plus orgueilleusement ; elle paraissait hautaine et froide ; miss Hannah, qui était vaniteuse, hardie, entreprenante, étalait la sienne ouvertement et franchement ; la mère montrait cette bonne opinion avec la gravité qui convenait à son âge et à sa réputation religieuse.

La réception s’accomplit, toutefois. Caroline se dit heureuse de les voir (fausseté insigne) ; elle espérait que la toux de mistress Sykes allait mieux (la toux de mistress Sykes durait depuis vingt ans), et que misses Sykes avaient laissé leurs sœurs en bonne santé à la maison ; à quoi les misses Sykes assises sur trois chaises en face du tabouret à musique sur lequel Caroline s’était placée sans préméditation, après avoir hésité quelques secondes entre ce siège et une large chaise à