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ont fait pénétrer la vérité au fond de mon âme. Quelquefois je crains de lui parler, j’ai peur d’être trop franche, j’ai peur de lui paraître chercher son amour ; car plus d’une fois j’ai regretté amèrement des paroles étourdies et inutiles, et craint d’avoir dit plus qu’il n’attendait, de peur qu’il ne désapprouvât ce qu’il pouvait considérer en moi comme une indiscrétion. Mais, ce soir, j’eusse pu exprimer toute ma pensée, il était si indulgent ! Comme il a été aimable en m’accompagnant jusqu’ici ! Il ne sait pas flatter ni dire des folies. Sa manière de déclarer son amour (son amitié, j’entends, car je ne peux encore le considérer comme mon amoureux, mais j’espère qu’il le sera un jour) ne ressemble pas à ce que nous lisons dans les livres ; elle est bien supérieure, originale, calme, ferme, sincère. Je l’aime ; je serais pour lui une excellente femme s’il m’épousait ; je lui ferais voir tous ses défauts (car il a quelques défauts), mais j’étudierais ses goûts, je le chérirais et m’efforcerais de le rendre heureux. Maintenant, je suis sûre qu’il n’aura pas demain son air froid ; je suis presque certaine que demain il viendra ici ou me fera prier d’aller là-bas. »

Elle recommença de peigner ses cheveux, longs comme ceux d’une sirène. Tournant la tête en les arrangeant, elle aperçut son visage et sa personne dans la glace. Si une jeune fille qui n’a point reçu la beauté en partage n’éprouve aucun plaisir à voir son visage réfléchi dans un miroir, il n’en est pas de même de celle qui est jolie. Pour celle-ci, la peinture est charmante et doit charmer. Caroline vit une forme, une tête qui, daguerréotypées dans cette attitude et dans cette expression, eussent été ravissantes. Elle ne pouvait tirer de là que la confirmation de ses espérances, et ce fut avec un redoublement de joie qu’elle se mit au lit.

Joyeuse aussi elle se leva le lendemain matin. Quand elle entra dans la salle à manger de son oncle, elle lui souhaita le bonjour avec un enjouement si doux et si gai, que le petit homme de bronze pensa un moment que sa nièce devenait une charmante fille. Ordinairement elle était avec lui réservée et timide ; très-docile, mais point communicative ; ce matin, cependant, elle trouva mille choses à lui dire. Elle avait fait une promenade matinale dans le jardin, et elle lui dit quelles fleurs commençaient à pousser ; elle demanda quand le jardinier viendrait arranger les bordures ; elle lui apprit que certains sansonnets commençaient à bâtir leurs nids dans le clocher de l’église