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rement, et, ce soir-là, elle s’en tint éloignée jusqu’à ce que la cloche sonnât les prières. Une partie du service du soir était la formule de prière en usage dans la maison de M. Heldstone. Il la lisait de sa voix nasale, claire, élevée et monotone. Pour assister à cette prière, Caroline, selon son habitude, se rendit dans la chambre de son oncle.

« Bonsoir, oncle, dit-elle, la prière terminée.

— Eh ! vous avez vagabondé toute la journée ; vous l’avez passée en visites, en dîners dehors, que sais-je ?

— J’ai été seulement au cottage.

— Et avez-vous appris vos leçons ?

— Oui.

— Et fait une chemise ?

— Seulement partie d’une.

— C’est bien ; appliquez-vous à l’aiguille, apprenez à faire les chemises, les robes, la pâtisserie, et vous serez un jour une femme remarquable. Allez vous coucher maintenant. Je suis occupé à lire une brochure. »

Voici maintenant Caroline enfermée dans sa petite chambre à coucher. Elle a revêtu sa blanche robe de nuit ; ses longs cheveux soyeux et épais, maintenant en liberté, flottent jusqu’à sa ceinture ; et, comme si elle avait voulu se reposer en les peignant, elle a appuyé sa tête sur sa main et fixé ses yeux sur le tapis. Devant elle se lèvent, autour d’elle se meuvent les visions qui s’offrent à nos dix-huit ans.

Ses pensées lui parlaient alors, et parlaient agréablement sans doute, car elle souriait en les écoutant. Elle semblait jolie, rêvant ainsi ; mais quelque chose de plus frais, de plus brillant qu’elle, hantait cette petite chambre : c’était l’esprit de la jeune Espérance. Suivant ce prophète flatteur, Caroline ne devait plus connaître le frisson du désappointement. Elle était entrée dans l’aurore d’un jour d’été, non pas une fausse aurore, mais le véritable commencement du jour, et son soleil était près de se lever. Il était impossible qu’elle se crût le jouet d’une illusion : ses espérances lui semblaient garanties ; la base sur laquelle elles reposaient lui paraissait solide. Quand deux jeunes gens s’aiment, la première chose qu’ils font est de se marier, tel était son argument. « Eh bien ! j’aime Robert, et je suis assurée que Robert m’aime : je l’ai pensé bien des fois auparavant ; aujourd’hui je le sens. Quand j’ai levé mon regard sur lui après avoir récité le poëme de Chénier, ses yeux (quels beaux yeux il a !)