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— Voilà votre manchon ; n’éveillez pas Hortense, venez. »

Le demi-mille qui séparait Hollow du presbytère fut bientôt franchi. Ils se séparèrent dans le jardin, sans un baiser, à peine avec une pression de mains. Cependant Robert quitta sa cousine excitée et joyeusement troublée. Il avait été singulièrement aimable avec elle ce jour-là, non-seulement en paroles, en compliments, mais en manières, en regards, en accents doux et tendres.

Pour lui, il revint grave, presque morose. Appuyé contre la porte de la cour, méditant à l’humide clarté de la lune, seul, avec le silencieux et sombre monument de la fabrique devant lui, environné de collines de toutes parts, il s’écria tout à coup :

« C’est impossible ! c’est une faiblesse ! Une ruine complète est au bout. »

Puis il ajouta d’une voix plus calme :

« La folie n’est que temporaire. Je la connais bien ; je l’ai éprouvée déjà. Demain l’accès sera passé. »




CHAPITRE VI.

Les vicaires prenant le thé.


Caroline Helstone avait juste dix-huit ans ; et, à dix-huit ans, l’histoire de la vie réelle va bientôt commencer. Avant ce temps, nous assistons à un conte, à une merveilleuse fiction, délicieux quelquefois, tristes souvent, presque toujours éloignés de la réalité. Avant cet âge, notre monde est héroïque ; ses habitants sont demi-dieux ou demi-démons, ses scènes des songes. Des bois plus sombres, des collines plus étranges, un ciel plus brillant, des eaux plus dangereuses, des fleurs plus suaves, des fruits plus séduisants, des plaines plus vastes, des déserts plus arides que ceux que l’on trouve dans la nature, constellent notre globe enchanté. Quelle lune que celle que nous voyons avant cet âge ! Comme le tremblement de nos cœurs à son aspect témoigne de son indicible beauté ! Quant à notre soleil, c’est un ciel en feu, le séjour de la divinité.