— Pourquoi ? quelle est votre opinion ?
— Je le demande encore :
Soit que ce fût l’orgueil
Qui devant l’homme heureux souvent dresse un écueil ;
Soit que, défectueuse et vaine, sa prudence
Ne sût à son profit faire tourner la chance ;
Que sa nature enfin lui refusât le don
De changer au besoin de langage et de ton ;
Que du camp au forum inhabile à descendre,
Pour réclamer le calme, on le vit souvent prendre
L’austère et rude voix du sombre général ?…
— Eh bien ! répondez vous-même, sphinx.
— C’était un mélange de tout cela : et vous ne devez pas être fier envers vos ouvriers ; vous ne devez pas négliger les chances de les adoucir ; vous ne devez pas être d’une inflexible nature, donnant à une requête la même autorité qu’à un commandement.
— Voilà la morale que vous attachez à cette tragédie. Qu’est-ce qui vous a mis de telles idées dans la tête ?
— Le désir de votre bien, le soin de votre sûreté, cher Robert, et la crainte, causée par beaucoup de choses que j’ai entendues tout récemment, qu’il ne vous arrive un malheur.
— Qui vous a dit ces choses ?
— J’ai entendu mon oncle parler de vous : il loue votre âme ferme, la trempe décidée de votre esprit, votre mépris pour de vils ennemis, votre résolution de ne pas être le jouet de la populace, comme il dit.
— Et vous, voudriez-vous me voir ramper devant elle ?
— Non, pour tout au monde ; je ne veux pas que jamais vous vous abaissiez. Mais je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a quelque chose d’injuste à comprendre tous les pauvres ouvriers sous l’expression générale et insultante de populace, à les regarder et à les traiter continuellement avec hauteur.
— Vous êtes une petite démocrate, Caroline. Si votre oncle le savait, que dirait-il ?
— Je parle rarement à mon oncle, comme vous savez, et jamais sur de semblables sujets ; il pense que tout ce qui n’est pas l’aiguille et la cuisine est au-dessus de l’intelligence des femmes, et ne les regarde point.
— Et croyez-vous comprendre les sujets sur lesquels vous me donnez des conseils ?