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tombé du ciel, ni être venu seul ; ce devait être son maître le preneur de rats, ou quelque autre personne qui l’avait amené ; donc, réprimant mes extravagantes caresses, et m’efforçant aussi de réprimer les siennes, je regardai autour de moi et je vis… M. Weston.

« Votre chien se souvient de vous, miss Grey, dit-il en saisissant avec chaleur la main que je lui offris sans trop savoir ce que je faisais. Vous êtes matinale.

— Pas toujours autant qu’aujourd’hui, répondis-je avec un sang-froid étonnant pour la circonstance.

— Jusqu’où avez-vous dessein de pousser votre promenade ?

— Je pensais à m’en retourner… il doit être temps, je pense. »

Il consulta sa montre, une montre en or cette fois, et me dit qu’il était sept heures cinq minutes.

« Mais sans doute votre promenade a été assez longue, dit-il en se retournant vers la ville, du côté de laquelle je me mis à ramener lentement mes pas, et il se mit à marcher à côté de moi. Dans quelle partie de la ville demeurez-vous ? je n’ai jamais pu vous découvrir. »

Il n’avait jamais pu nous découvrir ! il l’avait donc tenté ? Je lui dis le lieu de notre résidence ; il me demanda comment allaient nos affaires : je lui dis qu’elles allaient très-bien, que nous avions eu une grande augmentation d’élèves après les vacances de Noël, et que nous en attendions une nouvelle à la fin de celles où nous étions.

« Vous devez être une institutrice accomplie ? me dit-il.

— Non pas moi, mais ma mère, répondis-je ; elle mène si bien les choses, elle est si active, si instruite, si bonne !

— J’aimerais à connaître votre mère ; voudriez-vous me présenter à elle quelque jour, si je vous le demande ?

— Oui, avec plaisir.

— Et me donnerez-vous le privilège d’un vieil ami, de venir vous voir de temps à autre ?

— Oui, si… je le suppose… »

C’était là une sotte réponse ; mais la vérité est que je ne me croyais aucun droit d’inviter quelqu’un à venir dans la maison de ma mère sans qu’elle le sût, et si j’avais dit : « Oui, si ma mère n’y fait pas d’objection, » il aurait semblé que par sa question je comprenais plus qu’il n’avait voulu dire. J’ajoutai donc : « Je le suppose ; » mais j’aurais pu, si j’avais eu ma présence d’esprit ordinaire, dire quelque chose de plus sensé et