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lus alors de garder un air de froide indifférence, comme si je ne voyais rien de remarquable. Mais ce fut seulement pour un instant. Pourquoi la désappointerais-je pour épargner ma fierté ? Non, il vaut mieux faire le sacrifice de cette fierté pour lui donner cette innocente satisfaction. Je regardai donc autour de moi, lui dis que c’était une magnifique pièce, meublée avec beaucoup de goût. Elle répondit peu de chose, mais je vis qu’elle était contente.

Elle me montra ses deux tableaux italiens, mais elle ne me donna pas le temps de les examiner, me disant que j’aurais le temps de les revoir un autre jour. Elle voulût me faire admirer une petite montre qu’elle avait achetée à Genève, puis elle me fit faire le tour du salon pour me montrer divers objets qu’elle avait rapportés d’Italie ; entre autres des bustes, de gracieuses petites figurines, et des vases tous en marbre blanc et magnifiquement ciselés. Elle en parla avec animation, et entendit mes commentaires louangeurs avec plaisir. Bientôt pourtant elle poussa un soupir mélancolique, comme si elle eût voulu exprimer l’insuffisance de semblables bagatelles pour faire le bonheur du cœur humain.

S’étendant alors sur un sofa, elle m’engagea à m’asseoir aussi dans un large fauteuil qui se trouvait placé en face, non devant le feu, mais devant une large fenêtre ouverte, car on était en été, il ne faut pas l’oublier, une douce et chaude après-midi de la fin de juin. Je demeurai un instant assise en silence, jouissant de l’air calme et pur, et de la vue délicieuse du parc qui s’étendait devant moi, riche de verdure et de feuillage, et coloré par les chauds rayons du soleil. Mais il me fallait tirer avantage de cette pause ; j’avais des questions à faire, et, comme dans le post-scriptum d’une lettre de femme, le plus important devait venir à la fin. Je commençai donc par m’informer de M. et de mistress Murray, de miss Mathilde et des jeunes gentlemen.

On me répondit que papa avait la goutte, ce qui le rendait féroce ; qu’il ne voulait point renoncer à ses whists favoris, ni à ses dîners et à ses soupers substantiels ; qu’il s’était querellé avec son médecin, parce que celui-ci avait osé lui dire qu’aucune médecine ne pourrait le guérir s’il continuait à vivre ainsi ; que maman et les autres allaient bien. Mathilde était encore sauvage et turbulente, mais elle avait une gouvernante fashionable et avait déjà beaucoup gagné sous le rapport des ma-