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femme n’eût pu lui apporter autant de soulagement et de consolation que moi : non que je sois supérieure aux autres, mais parce que j’étais faite pour lui, et lui pour moi ; et que je ne peux pas plus regretter les heures, les jours, les années de bonheur que nous avons passés ensemble, et que nul de nous n’eût pu avoir sans l’autre, que je ne puis regretter le privilège de l’avoir soigné dans la maladie et consolé dans l’affliction.

« Faut-il lui écrire cela, mes enfants ? ou lui dirai-je que nous sommes tous très-fâchés de ce qui s’est passé depuis trente ans ; que mes filles voudraient n’être pas nées ; mais que, puisqu’elles ont eu ce malheur, elles seront très-reconnaissantes de tout ce que leur grand-papa voudra bien faire pour elles ? »

Naturellement, noue applaudîmes à la résolution de ma mère ; Mary enleva le service ; j’apportai le pupitre ; la lettre fut promptement écrite et expédiée ; et, depuis ce jour, nous n’entendîmes plus parler de notre grand-père, jusqu’au jour où, longtemps après, nous vîmes sa mort annoncée dans les journaux, et apprîmes qu’il laissait toute sa fortune à des cousins riches et inconnus.




CHAPITRE XX.

L’adieu.


Une maison à A…, la ville des bains de mer à la mode, fut louée pour notre pensionnat, et nous obtînmes la promesse de deux ou trois élèves pour commencer. Je retournai à Horton-Lodge vers le milieu de juillet, laissant à ma mère le soin de conclure le marché pour la maison, d’obtenir de nouvelles pensionnaires, de vendre le mobilier de notre vieille demeure, et d’acheter le nouveau.

Nous plaignons souvent les pauvres de ce qu’ils n’ont pas le temps de porter le deuil de leurs parents morts, la nécessité les obligeant à travailler pendant leurs plus cruelles afflictions ; mais le travail incessant n’est-il pas le meilleur remède à un chagrin accablant, le plus sûr antidote contre le désespoir ? Ce