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en quel endroit il devait probablement se trouver à tel ou tel moment, soit pour baptiser un enfant, soit pour visiter les vieillards, les malades, les affligés ou les mourants, et elle dressait ensuite habilement ses plans. Dans ses excursions elle se faisait quelquefois accompagner par sa sœur, que d’une façon ou de l’autre elle parvenait à persuader ou à gagner ; quelquefois elle allait seule, jamais avec moi : de sorte que j’étais frustrée du plaisir de voir M. Weston, d’entendre sa voix même dans la conversation avec une autre, ce qui m’eût encore rendue très-heureuse, quelque jalousie que j’eusse pu en ressentir. Je ne pouvais même plus l’apercevoir à l’église : car miss Murray, sous quelque trivial prétexte, avait coutume de s’emparer de ce coin, dans le banc de la famille, qui avait toujours été à moi depuis mon entrée dans la maison ; et, à moins d’être assez présomptueuse pour me placer entre M. et mistress Murray, il fallait m’asseoir le dos tourné à la chaire, ce que je faisais.

Je ne retournais plus jamais à pied avec mes élèves ; elles disaient que leur mère pensait qu’il n’était pas bien de voir trois personnes de la famille marcher, pendant que deux seulement allaient en voiture ; et, comme elles préféraient aller à pied par le beau temps, j’avais l’honneur d’aller en voiture avec les parents. « D’ailleurs, disaient-elles, vous ne pouvez marcher aussi vite que nous ; vous savez que vous restez toujours en arrière. » Je savais que c’étaient de fausses excuses, mais je n’y faisais aucune objection, et ne les contredisais jamais, sachant les motifs qui les leur dictaient. Et pendant ces six semaines mémorables, je ne retournai pas une seule fois à l’église l’après-midi. Si j’avais un rhume ou une légère indisposition, elles en prenaient avantage pour me faire rester à la maison ; souvent elles me disaient qu’elles ne voulaient pas y retourner elles-mêmes, puis elles se ravisaient et partaient sans me le dire. Un jour, à leur retour, elles me firent un récit animé d’une conversation qu’elles avaient eue avec M. Weston en revenant. « Et il nous a demandé si vous étiez malade, miss Grey, dit Mathilde ; mais nous lui avons répondu que vous étiez très-bien portante, seulement que vous n’éprouviez pas le besoin d’aller à l’église, de sorte qu’il va croire que vous êtes devenue méchante. »

Toutes les chances de le rencontrer pendant la semaine étaient aussi écartées avec soin : car, de peur que je n’allasse voir la pauvre Nancy Brown ou toute autre personne, miss