Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/721

Cette page a été validée par deux contributeurs.

regard impudent, je ne l’accuse pas de cela, c’était un regard de respectueuse et tendre adoration. Ah ! ah ! ce n’est point le stupide lourdaud que j’avais pensé ! »

Je ne répondis rien, car mon cœur était dans mon gosier, ou quelque chose comme cela, et je ne pouvais parler. « Oh ! que Dieu éloigne de lui ce malheur ! m’écriai-je intérieurement, pour l’amour de lui, non pour moi. »

En traversant le parc, miss Murray fit plusieurs observations triviales, auxquelles, malgré ma répugnance à faire voir mes sentiments, je ne pus répondre que par des monosyllabes. Avait-elle l’intention de me torturer, ou simplement de s’amuser, c’est ce que je ne pourrais dire, et cela m’importait peu ; mais je pensai au pauvre homme qui n’avait qu’un agneau, et au riche qui avait des milliers de troupeaux ; et je redoutai je ne sais quoi pour M. Weston, indépendamment de mes espérances ruinées.

Je fus très-contente de rentrer à la maison, et de me retrouver encore une fois seule dans ma chambre. Mon premier mouvement fut de me laisser tomber sur une chaise à côté de mon lit, de reposer ma tête sur l’oreiller et de chercher du soulagement dans d’abondantes larmes ; mais, hélas ! il me fallut encore réprimer ma douleur et refouler mes sentiments : la cloche, l’odieuse cloche sonnait le dîner, et il me fallut descendre avec un visage calme, et sourire, et rire, et dire des frivolités, oui, et manger aussi, si je le pouvais, comme si tout était bien, et comme si je revenais d’une agréable promenade.




CHAPITRE XVI.

La substitution.


Le dimanche suivant fut un des plus sombres jours d’avril, un jour de nuages épais et de grosses averses. Aucun des Murray n’était disposé à retourner à l’église l’après-midi, excepté Rosalie ; elle désirait y aller comme de coutume ; aussi elle commanda la voiture et j’allai avec elle. Je n’en étais nullement fâchée, d’ailleurs : car à l’église je pouvais, sans crainte de